Dix jours au vert
Ce que je retiens de ces dix jours d'ateliers et de stages : fatigue, rencontres, enseignement, effondrement de mon prestige social et autres anecdotes.
Je reviens de dix jours d’ateliers et de stages d’art botanique : une journée de stage pour l’association des Auditeurs des Cours du Luxembourg début juin, suivis d’un marathon de trois ateliers + un jour de stage chez Adeline Klam à Paris, puis le dernier stage d’une semaine de l’année, chez Parenthèse, dans la forêt d’Orléans.
La franchise m’oblige à dire que je n’étais pas totalement sûre d’apprécier un enchaînement aussi intense, mais il n’est pas toujours aisé de coordonner autant d’emplois du temps et on doit parfois s’adapter. Finalement ces dix jours menés tambour battant ont été une expérience formidable, faite d’intensité et de légèreté mêlées. Fatigante aussi, évidemment, mais ce n’est vraiment pas ce qui me vient à l’esprit en premier.
J’ai envie à présent de prendre quelques minutes pour consigner ici les petites et grandes réflexions que je retiens de ces dix jours.
La fatigue. Commençons par ça.
Lorsque j’ai commencé à donner des ateliers, il y a cinq ans, je terminais chaque journée essorée. D’abord, je n’étais pas au même niveau de maîtrise technique que je le suis aujourd’hui - même si le mot « maitrise » est relatif, car l’aquarelle est un médium qui nous place dans une perpétuelle position d’apprenant, bien plus que de sachant. Mais surtout : quelle pression inimaginable je me mettais, pour que chaque élève réussisse en trois heures ce qu’il m’avait fallu des années à apprendre. Le plus étonnant, figurez-vous, c’est que ça fonctionnait. La plupart des participantes sortaient de l’atelier épuisés, mais ravies d’avoir réussi quelque chose qui leur semblait inaccessible. C’était comme un tour de magie ; j’adorais cette sensation de leur avoir permis de s’étonner elles-mêmes et, espérais-je, de se donner confiance. Je guidais chaque geste, j’accompagnais chaque étape le plus précisément possible. Et je mettais tant de moi-même à “tenir l’énergie du groupe” (je ne sais pas si c’est bien clair comme expression) qu’il me fallait la journée du lendemain, ensuite, pour m’en remettre. Ces ateliers étaient très tournés vers le résultat et je l’obtenais. Mais j’avais le sentiment également de brutaliser mes élèves, de leur arracher quelque chose. Pendant trois heures, on accomplissait ensemble un exploit, mais il fallait en payer le prix.
Aujourd’hui, je me rends compte que ce résultat “wouah” n’est plus ce qui me guide pour mener mes séances. La première chose que je désire pour les participantes, c’est éclaircir avec elles les mystères de l’aquarelle, afin que chacune reparte avec une boîte à outils à utiliser pour ses propres créations. La deuxième chose, c’est le plaisir. Offrir l’espace à chacune pour expérimenter et apprécier ce temps de création est désormais une priorité. Je veux que les participants de mes ateliers puissent ressentir cette impression de ne plus voir le temps passer, se perdre dans les couleurs, les motifs, les détails… tout ce qui fait ma propre joie lorsque je peins à l’aquarelle. Parce qu’à la fin, c’est précisément cette joie que j’ai envie de transmettre.
Sans surprise, cette approche occasionne un stress moindre pour moi et, si après avoir enchainé plusieurs ateliers de trois heures, la fatigue physique est inévitable, je n’ai plus l’impression d’être à plat comme c’était le cas avant. Je dirais même qu’il y a une dimension énergisante dans ces rencontres.
Les rencontres, justement, parlons-en.
J’organise ces ateliers pour transmettre et partager ma passion. Bien sûr, lorsque j’enfile mon costume d’enseignante, je suis focalisée sur ce que je veux apporter aux personnes qui se sont inscrites. Cependant, je ne les animerais pas s’ils ne m’apportaient pas quelque chose à moi aussi - dit autrement, la motivation économique ne serait pas un levier suffisant à elle seule.
Et ce qui me motive, moi, ce sont les rencontres.
Dans mon quotidien, je suis très soutenue par des amis et une famille qui encouragent mon travail, m’aident à y voir plus clair quand je suis perdue et, globalement, croient en moi quand j’oublie de le faire. C’est extrêmement précieux et je mesure ma chance.
Mais l’art botanique ne les intéresse pas.
Dans ma vie quotidienne, je ne partage mon amour pour l’art botanique avec personne en chair et en os, avec qui je pourrais débattre des heures d’une couleur ou d’un moyen de réussir tel ou tel effet. Ce n’est pas la fin du monde, mais je vous laisse imaginer l’effet que ça me fait de pouvoir tout à coup parler librement pinceaux, tubes de couleur, papier et émerveillement global pour toutes les dimensions - techniques et artistiques - de l’art botanique et l’aquarelle en général.
Et puis j’adore la petite magie de chaque groupe. Cette énergie inédite que l’on crée à chaque fois. Cela fait maintenant cinq ans que j’anime des ateliers. Je maîtrise mon sujet, mes séquences sont devenues au fil des ans précises et cadencées, je pourrais avoir le sentiment de faire tout le temps la même chose, mais non : parce que chaque groupe est différent, ce n’est jamais la même danse. À vrai dire, j’ai souvent l’impression d’avoir vécu un moment exceptionnel.
Enseigner.
Il faudra que j’écrive un jour un billet dédié à l’effondrement de mon prestige social depuis que je ne me présente plus, dans les dîners, comme autrice (même si techniquement, c’est encore vrai), mais comme artiste. J’ai mis longtemps à comprendre ce qui se passait et il y aurait de quoi faire un sketch complet sur ce sujet. Vous verrez, c’est à la fois navrant et hilarant.
Mais le pompon, c’est le moment où j’annonce que j’enseigne l’aquarelle. Ultime dégringolade. J’ai mis longtemps à m’en rendre compte, parce que mon sentiment d’accomplissement et de réussite personnelle observe une courbe exactement inverse : je me sens dix fois plus heureuse, sur le plan professionnel, que lorsque j’écrivais des livres (d’ailleurs, ce n’est pas parce que je ne produis plus de livres que je n’écris plus, et ce n’est pas parce que je ne publie rien aujourd’hui que je ne le ferai plus jamais, mais c’est encore un autre sujet)(la digression est ma zone de génie, je suis désolée je ne peux pas m’en empêcher). Bon. Je reviendrai là-dessus une autre fois.
Là où je voulais en venir aujourd’hui, c’est à quel point, dans l’esprit de beaucoup d’entre nous, l’enseignement est une forme dégradée de nos rêves. On soupçonne souvent les enseignants d’avoir espéré un jour être autre chose que ce qu’ils sont : chercheurs, écrivains, sportifs de haut niveau, peintres… comme s’ils et elles enseignaient faute d’avoir réussi à faire mieux.
Pour moi, transmettre ses connaissances - quelles qu’elles soient, d’ailleurs, aussi bien un génial coup de main pour éplucher le gingembre, qu’une histoire qui change à jamais notre manière de voir le monde - est l’une des choses les plus sacrées qui nous soit données de se donner mutuellement, entre nous, les humains.
Peut-être parce que c’est arrivé tardivement dans ma vie, j’ai le sentiment que mes connaissances en aquarelle botanique - aussi modestes qu’elles soient - sont une chose extrêmement belle et précieuse. Et je vis la possibilité de les faire circuler comme à la fois une chance et un devoir. Vous le voyez, c’est quelque chose que je prends très - très - au sérieux. Et je suis loin d’être la seule.
J’entends souvent dire de tel ou telle artiste qu’il ou elle donne des cours “pour gagner sa vie”, comme une sorte de corvée dont on s’acquitte parce qu’on n’a rien trouvé de mieux à faire. En réalité, les artistes autour de moi qui consacrent une partie de leur temps à enseigner le font plutôt avec l’impression de transmettre un trésor. Ou, à minima, avec la conscience de faire partie d’une chaîne où les connaissances n’existent que parce qu’on les fait circuler et où chacun doit faire sa part.

10 souvenirs
Et voici maintenant dix et quelques moments marquants. Comme un album photo, mais avec des mots.
J’ai traduit mon premier cours en anglais pour une toute jeune fille texane qui ne comprenait pas le français et dont la maman avait pensé que les explications visuelles suffiraient amplement. Je m’en suis sortie et tout le monde m’a dit à la fin “oh la la comme tu parles bien anglais” - ce qui n’est pas vrai, mais m’a donné la petite étincelle de foi qui me dit que je suis désormais en mesure de donner des cours en anglais.
Une personne dont j’admire beaucoup le travail et dont je pense qu’on peut dire “tout le monde la connaît”, est venue à un de mes ateliers. C’est fou à quel point chaque parcelle de soi aspire à faire ses preuves devant quelqu’un qu’on admire, même si c’est contreproductif et un peu bête. Et surtout, je crois que cela nous coupe un peu de la possibilité d’une vraie rencontre, même si j’étais très heureuse que nos chemins se croisent sur un terrain d’intérêt commun.
Je pense aussi à cette participante, lors d’un atelier, qui était - exceptionnellement - la seule à n’avoir vraiment aucune expérience. Tout : tenir le pinceau, mouiller l’aquarelle, mélanger ses couleurs… était une première fois et j’ai tant aimé la voir ne pas se laisser décourager par les résultats de ses voisines, forcément très différents des siens. C’est ce qu’on oublie parfois de dire quand on enseigne : toutes les leçons, aussi, que l’on reçoit.
J’ai donné un cours traduit en espagnol, en simultané, comme les représentants de l’ONU (d’ailleurs, la traductrice y avait travaillé) ! C’était déroutant et inattendu, donc un très bon souvenir.
Oh et cette soirée délicieuse passée avec Morgane Boullier, bretonne elle aussi, mais qui exposait ses magnifiques dessins de Sumi-e à Paris. Quelques heures hors du temps pendant lesquelles on a eu le temps de pleurer de vraies larmes, de rire d’un authentique fou rire, de dégommer une bonne pizza et de se raconter l’une à l’autre comme si nous nous connaissions déjà de longue date.
Il y a eu ce jeune garçon vraiment très doué qui dessine pour l’industrie du jeu vidéo et qui avait envie d’approfondir ses connaissances à l’aquarelle. À la fin, nous avons passé un long moment à admirer ses carnets de croquis remplis d’animaux imaginaires incroyables. C’est une des choses que j’adore dans ce métier, la fraternité qui existe souvent entre nous. La curiosité mutuelle pour le travail de l’autre, une forme d’intimité naturelle que je ne sais pas trop comment décrire, mais qui me donne un sentiment d’appartenance que je n’ai jamais connu avant, sous aucune autre forme.
Ma chère Adeline m’a offert un de ses dessins. Ça aussi, ça a une saveur spéciale, les cadeaux de ses amis artistes. Adeline a ce don incroyable pour faire surgir des émotions très profondes à l’aide de formes et de combinaisons de couleurs simples (enfin, apparemment simples, c’est pour ça que c’est un don : personne ne peut faire comme elle).
À Parenthèse. Parmi les participantes étaient rassemblées par hasard une grande majorité de professions de soin et de santé dont on sait à quel point elles sont malmenées. J’étais contente de pouvoir prendre soin d’elles, à leur tour, à ma manière.
En cinq jours de stage, on partage aussi bien d’autre chose que l’aquarelle, vous vous en doutez. J’ai, pour chacune des participantes, quelque chose à dire d’elle qui vous donnerait envie, instantanément, de la connaître et passer une semaine avec elle.
Surprise ! Pénélope a surgi en plein milieu d’un cours, et comme c’était simple et doux de se retrouver là, dans ce paradis. Ce dîner toutes les trois avec Samantha. parenthèse dans la parenthèse. (À ce stade, vous avez bien compris que c’était mon truc, les parenthèses à l’intérieur d’autres parenthèses avec des tirets imbriqués et quatre-vingt douze virgules au milieu).
Être dehors. Il faisait si chaud - même en plein cœur de la forêt - qu’on a fait cours sous les arbres et l’atmosphère étouffante est devenue délicieuse. La fraicheur, l’air qui circulait, le simple fait d’être là avec toutes ces couleurs et autant de temps devant nous pour faire ce qu’on voulait. C’était simplement parfait.
Cette jeune femme, à la fin d’un cours chez Adeline, qui m’a dit “merci pour la douceur”, dont j’ai vu que les larmes lui étaient montées aux yeux et que pour cette raison, elle s’est enfuie sans me laisser le temps de répondre quoi que ce soit. Ces larmes, je les connais bien. Elles surgissent sans crier gare les traitresses et bien souvent, on aimerait savoir cacher. En vérité, ça me fait tellement de bien, à chaque fois que je surprends l’émotion débordante des autres, moi qui me sens si souvent encombrée par la mienne. Alors sachez-le, si vous êtes du genre à fondre en larmes pour un rien - une chanson, un oiseau qui passe, une phrase qui vous touche, l’air que vous respirez - et toujours au mauvais moment : on est de la même team, vous et moi. Pour la prochaine fois, vous saurez.
Et si vous vous dites que vous aimeriez bien participer à un prochain atelier ou un prochain stage, voici quelques infos :
Les prochains ateliers chez Adeline Klam à Paris ne sont pas encore programmés, mais nous avons évoqué l’idée d’en proposer à la fin de l’année 2025 (en octobre ou novembre). Ce sera sans doute une nouvelle formule, mais j’aurai l’occasion d’en reparler.
Les cours des Auditeurs des cours du Luxembourg sont réservés aux membres de l’association et la prochaine journée de stage aura lieu vraisemblablement en juin 2026.
Les prochains stages chez Parenthèse eux, sont déjà programmés ; nous venons tout juste de les mettre en ligne. Ils auront lieu en mars 2026 (stage de dessin - ce sera une première !) et en septembre 2026 (stage d’aquarelle).
Toutes les informations à propos des futurs stages et ateliers sont rassemblées sur mon site sur cette page. Mais pour ne manquer aucune info, je vous invite à vous inscrire à la newsletter dédiée à mes cours en ligne ici.
Je pourrais écrire presque le même article mais pas aussi bien que toi ❤️
J'aime te lire, merci